Cet article invité a été écrit par Quentin Viaud, un grimpeur passionné qui s'intéresse à la performance. Il oeuvre notamment en ce sens en animant, avec un ami, un groupe dédié à la progression en escalade au sein de l'association Corsica roc.
Combativité en escalade
La combativité, l’envie de vaincre, le « fighting spirit », la « rage »… autant de notions qui se rejoignent. La combativité c’est la capacité que l’on a de continuer d’avancer bien que ce que l’on est en train de tenter soit difficile.
En escalade, on pourrait donc dire que c’est la capacité de continuer à grimper dans une voie ou dans un bloc bien que cela nous paraisse difficile….voire impossible ?
Vous aimeriez pouvoir aller au bout de vos capacités ? Vous battre dans vos essais ? Cet article est fait pour vous !
La combativité est une compétence comme une autre, et surtout, ça se travaille. Je pense que c’est un aspect largement sous-estimé de l’escalade. Autant, pour des personnes voulant pratiquer sans optique de performance, cette thématique n’a que peu d’intérêt, autant, pour ceux et celles qui veulent faire des choses difficiles pour leur niveau, c’est un facteur clé… bien plus que la résistance, le gainage ou la tenue de prise ! Trop souvent, je vois des gens abandonner leur voie en se plaignant de ne pas avoir assez de rési… ou que c’est trop dur… alors qu’il ne sont même pas essoufflés !
Pour quel type de pratique ?
Tous ! L’escalade est un sport qui, par nature, nous demande d’essayer des choses que nous ne sommes pas toujours certains de réussir. Ceci dit, je le répète, il faut avoir envie de grimper des voies ou des blocs durs. Si votre but en escalade est le pur plaisir, sans recherche de performance, cette thématique n’est pas très intéressante… mais a priori si vous lisez encore c’est que ça vous intéresse !
- En falaise, une seule longueur, à vue : la combativité est un facteur clé à mon avis. A vue, on ne sait pas sur quoi on va tomber. Si la prise qui avait l’air plutôt bonne vue du dessous s’avère finalement être un plat moyen, une bonne combativité permettra de faire les quelques mouvements supplémentaires pour arriver au bac de repos.
- En falaise, plusieurs longueurs, ou en trad: c’est aussi un facteur clé à mon avis. D’une part, on grimpe assez souvent à vue, d’autre part, l’engagement souvent plus prononcé en grande voie rend cette compétence vitale pour ne pas tomber au mauvais moment. De plus, ça aide à « tenir la distance » s’il reste une voie pas facile en dernière longueur…
- En falaise, après travail : la combativité un très bon moyen de diminuer le nombre d’essais nécessaires à la réalisation d’une voie. Plutôt que d’abandonner votre essai parce que vous ne retrouvez pas exactement le placement dans la section dure, avec une bonne combativité vous pourriez malgré tout enchaîner.
- En bloc : même remarque qu’au-dessus. De plus, cela permet de continuer de mettre des essais bien que l’on sente la fatigue s’installer…et parfois ça permet d’enchaîner ce jour-là !
Comment savoir si je ne suis pas très combatif ?
Quelques symptômes :
- vous tombez en tenant les prises, sans tenter un autre mouvement,
- vous avez le temps d’annoncer que vous allez tomber ou de « demander sec »,
- vous avez les avant-bras qui ont tout juste commencé à chauffer, mais vous ne grimpez jamais plusieurs mouvements dans cet état.
Grosso modo, vous « lâchez prise », volontairement. N’ayez pas honte, c’est pour tout le monde pareil, notre cerveau ne veut pas faire des choses dures et aléatoires !
Ne confondez pas cette thématique avec la résistance : si vous avez un problème de rési, c’est que vous tombez parce que vous avez les avant-bras engorgés, explosés… et que vous êtes allés au bout !
Là, c’est que justement que vous n’arrivez pas à utiliser vos capacités jusqu’au bout. Mais on peut aisément confondre les deux et mettre sur le dos de sa « faible rési » un problème de combativité en fait 😉
Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Bien que les exercices aient un impact direct sur votre capacité à vous battre, c’est surtout votre état d’esprit lors de votre séance (d’entraînement ou de grimpe) qui va déterminer votre combativité. Il y’a donc un petit travail de préparation mentale à faire:
1/ Au début de votre séance, lorsque vous vous échauffez, puis juste avant de vous lancer dans la grimpe, répétez-vous qu’aujourd’hui, vous êtes venu pour vous battre.
Bagarre, bagarre, bagarre !!!
2/ Vous allez jusqu’à votre limite, vous êtes là pour grimper dur ! Vous continuez. Vous serrez les prises !
3/ Lorsque vous grimpez et que vous sentez la difficulté arriver, vous vous répétez ces mantras. Moi j’aime bien le mot « bagarre, bagarre » répété dans ma tête. C’est court, ça n’a aucune connotation et ça représente bien ce qu’il faut faire.
4/ Une approche dite « kinesthésique » (basée sur le toucher, la sensation physique) fonctionne bien aussi : vous vous frappez la cuisse (par exemple…et pas trop fort) pour déclencher cet état de “rage de vaincre”.
En bref, vous trouvez un moyen de rester dans cet état d’esprit combatif. Votre partenaire peut vous aider en vous encourageant (voir dans les exercices ci-dessous).
Bon, et les exercices ?
Ah, enfin 😉
Les exercices que l’on va présenter reposent tous sur le même principe : amener le grimpeur dans une situation difficile, de façon à ce qu’il puisse tenter de se « surpasser ». Le but est donc de se retrouver en difficulté, voire en grande difficulté, et de petit à petit se rendre compte que finalement, même en difficulté, on peut continuer d’avancer.
Un petit point sécu avant tout
En combativité, comme le but est d’aller jusqu’au bout de vos capacités… vous allez régulièrement chuter. Et vous allez chuter, parfois, sans pouvoir prévenir votre assureur. Soyez donc sûr que ce que vous essayez de grimper (voies, circuits blocs..) soit bien compatible avec ce type d’exercice et que vous êtes en mesure d’assurer votre sécurité (savoir chuter, savoir assurer, savoir grimper dans un profil adapté…).
Exercice #1: Les voies de niveau sur-max
Vous vous lancez dans une voie plus dure que ce que vous pensez pouvoir enchaîner. Vous essayez d’aller le plus haut possible. Si vous tombez à cause d’une « bêtise » (erreur de lecture flagrante, zipette de pied) vous repartez tout de suite. Vous prenez un gros repos entre vos essais, et vous essayez de faire trois essais.
Intérêt : se battre sans connaissance aucune de votre possibilité à enchaîner. Sortir de sa zone de confort.
Exercice #2: Les voies de niveau max à vue
Vous prenez votre niveau maximum à vue. Vous essayez la voie. Si vous échouez votre essai à vue, vous passez à une autre voie après une bonne pause. Vous pouvez essayer 3 ou 4 voies dans une séance.
Intérêt : grimper dans une situation où vous n’avez qu’une seule chance. Permet d’apprendre à se battre « dans l’inconnu » et dans une situation où vous vous mettez la pression (l’essai à vue).
Exercice #3: Le circuit infini
Sur un pan, vous ouvrez un circuit qui « boucle », c’est-à-dire qui revient à son point de départ. Vous essayez de faire le plus de mouvements possible (idéalement, vous ne devez pas en faire plus de 60 malgré tout). Vous prenez des pauses entre chaque essai, et une grosse pause tous les 3 essais. Pas plus de 6 essais en tout.
Intérêt : Continuer de grimper coûte que coûte, pour aller au bout….. de rien puisqu’il n’y a pas de fin. Permet de continuer de grimper sans savoir si l’on va atteindre un repos, le relais, bref, de grimper au maximum.
Exercice #4: Les blocs empilés
Vous prenez 4 blocs que vous pourriez faire à vue, et que vous connaissez. Vous essayez de les enchaîner, les uns après les autres (en revenant au sol entre chaque bloc). Vous prenez une courte pause entre chaque essais de 4 blocs, et une grosse pause tous les 3 essais. Pas plus de 6 essais en tout.
Intérêt : Apprendre à grimper des mouvements typés blocs (plus aléatoires, plus demandeurs physiquement) tout en étant entamé. Apprend à rythmer son escalade et à fonctionner par sections, même dans la difficulté « allez, là, je fais 8 mouvements et j’ai fini ».
Exercice #5: L’assureur-coach
Exercice bonus ! Il peut être ajouté en sus de chaque exercice proposé précédemment. En tant que partenaire, vous allez motiver à fond votre grimpeur pendant qu’il grimpe. Injonctions, encouragements (uniquement avec des notions positives…), motivations… le but est d’être un véritable public de Bercy à vous seul !
Intérêt : Apprendre à être un assureur aidant, apprendre à utiliser des notions positives (dire « tu avances !! » plutôt que « tombes pas ! »), voir l’impact d’une aide extérieure.
Une petite remarque finale
Vous aurez peut être remarqué que le dimensionnement des séances n’est pas « énorme » en terme de volume. Bien moindre que pour des séances typées « rési » par exemple. Cela est dû au fait que, à mon sens, la combativité d’une personne n’est pas illimitée. Ni au sein d’une séance, ni dans le temps.
Par conséquent, là où pour entraîner sa rési on peut faire des séances plus longues (pour continuer de se fatiguer), en combativité ça n’a pas d’intérêt.
De plus, vous verrez qu’assez rapidement, vous n’avez plus de « combativité disponible ». En effet, nerveusement, les exercices proposés sont assez épuisants : au bout d’un certain temps, dans la séance, vous n’aurez tout simplement « plus envie ». On ne peut pas se battre tout le temps !
Lorsque vous sentez cette rage disparaître (généralement, après un essai ou un circuit), vous pouvez tenter de vous battre pour une voie de plus, ou un enchaînement de plus. Si vous n’avez toujours pas envie, c’est que vous avez bien travaillé ! 😉
Et le dimensionnement ?
Soit on fait des cycles complets : deux séances par semaine avec deux jours de repos entre, 3 ou 4 semaines d’affilée, 1 ou 2 fois par an. C’est très demandeur, ça épuise nerveusement…mais ça paye.
Soit on fait des séances « isolées » pour se remettre un petit coup de fouet, et dans ce cas on peut les intercaler un peu quand on veut.
Quentin, Groupe Progression Association Corsica roc
As-tu déjà travaillé ta combativité ? Connais-tu d'autres exercices ou jeux que tu souhaites partager avec la Communauté ?
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Bonjour,
Le mot ” essais” ou “essayer” est à banir du vocabulaire du grimpeur combatant car dire “je vais essayer cette voies ” sous entend que l’ont émet la possibilité de ne pas y arriver, se qui nous place dans un état d’esprit tourné involontairement vers l’échec. Il convient mieux de le remplacer par ” je vais faire un tour ” ou “je vais voir se qui se passe”…
Ou encore mieux par” je vais grimper cette voie” ou “je vais réussir cette voie” ! Tu as bien raison, avoir des paroles positives est la base de la réussite ! 🙂
Ca dépend ! Il faut aussi être capable de rester réaliste et de se poser des objectifs atteignables. Se dire en permanence “je vais dans la voie et je vais réussir” peut à terme mener à d’énormes problèmes de pression mentale si on ne réussit pas aussi vite qu’on le voudrait.
Typiquement, lorsqu’on essaye quelque chose de particulièrement difficile pour son niveau (une cotation jamais atteinte par exemple), je trouve contre productif de se dire “je vais voir ce qu’il se passe et autant je fais à vue”, parce que, à mon avis, c’est la mauvaise surprise derrière…parfois, je trouve ça bien de laisser la place à la possibilité d’un échec dans quelque chose que l’on ne connaît pas, ça permet de dédramatiser ledit échec..et donc de se dire “bah je savais bien que j’avais quand même peu de chance de réussir ça dans la séance…c’est normal, c’est dur !”
C’est aussi vrai.. Mais dans ce cas ton égo prospère et les raisons d’un échec sont vites trouvés. Échec ou réussite,quoi qu’il en soit le point commun entre ces deux finalités est l’apprentissage.
s’il s’agit d’un niveau sur-max comme l’indique Quentin … notre cerveau n’accepte pas le mensonge => il vaut mieux se dire qu’on “essaie” d’enchaîner 2-3 moves ou les 2/3 suivants ; l’humilité reste la formule appropriée, et cela n’empêche pas la persévérance
quand effectivement on est proche de son niveau max, là on se doit d’être dans une autre dynamique => on s’y aventure pour voir si la voie est intéressante ou pour trouver des placements plus fluides dans une voie qu’on connait déjà
dans les 2 cas, pour moi, c’est la curiosité qui est le moteur essentiel de la combativité, je veux savoir ce qui se cache derrière et selon le niveau de difficulté tu ne cherchera pas la même chose … Quentin le dit très bien : il faut juste être clair sur les objectifs à atteindre
Fabien, j’aime pas trop le terme “positif” , ça me fait penser à la soupe que notre hiérarchie, les RH, les politicards, … nous sortent à longueur d’année 🙂 pour nous pousser à accepter les objectifs auxquels on adhère pas forcément
en tout cas, plus sérieusement, cela marche pour moi : j’ai débuté l’escalade au mois de septembre dernier et je suis actuellement sur du 6b à vue, et sur du 7b en niveau sur-max … l’autre chantier en cours avec toi Fabien c’est d’accepter la peur de la chute en falaise 🙂
Oui, tu l’as mieux dit que moi. Les objectifs sont à adapter en fonction du niveau de la voie, c’est tout à fait ça. Et donc l’état d’esprit ainsi que la pratique aussi !
Typiquement, si tu vas à la falaise pour travailler une nouvelle voie, et bien ça veut dire la travailler, pas essayer de l’enchaîner ce jour là 😉
J’envisage pas les choses de la même manière lorsqu’il s’agit de passer un pas engagé et lorsqu’il s’agit de se mobiliser pour terminer un toit lorsqu’on est au bout de ses réserves.
Dans un cas, c’est le mental qui coince et j’essaye de me concentrer sur ma gestuelle et ma lecture pour passer le pas, dans l’autre c’est le physique et je m’encourage, je me fouette les cuisses pour trouver la ressource et taper le relai.
En rapport avec l’exercice du “circuit infini”, récemment, à ma salle de bloc, je me suis lancé dans un petit challenge conti/fight assez efficace : je me suis donné 1h15 (il fallait que je retourne bosser) pour toper tous les blocs bleus de la salle (22 !)… Pas d’excuses possible : cela correspond à mon niveau, simplement, des blocs faciles et des blocs durs, des que je connaissait, d’autres que je découvrais… au bout d’un moment, tu commences à fatiguer, tu vois la pendule tourner, et tu commences sérieusement à te prendre pour un guerrier pour les 7-8 derniers passages…
Hé mais c’est cool cet exercice! Merci pour l’idée! Je vais faire ça à la prochaine session.
Un exercice en SAE que j’aime bien pour le sur-max: Je choisi une voie vraiment très dure mais qui m’inspire (jolis mouv’ ou prises intéressantes, je regarde pas trop la cotation). Je lis très attentivement la voie, puis je regarde jusqu’à quelle dégaine je pense pouvoir aller et j’essaye de m’y tenir coûte que coûte. Du coup, je peux appliquer la technique du positivisme de Fabien sans que ça semble stupide. Et des fois on est surpris de voir qu’on va plus loin que ce qu’on avait prévu.